Un déploiement de l’éolien qui s’accélère, en particulier en Europe
En 2022, la production annuelle d’énergie éolienne a dépassé les 400 TWh en Europe, soit l’équivalent de la production annuelle d’une petite centaine de réacteurs nucléaires ou encore deux fois plus que la production d’électricité solaire photovoltaïque en Europe.
Depuis 2015, la production éolienne a cru en moyenne de 7% par an, et devrait continuer de croître fortement dans les prochaines années. L’Agence Internationale de l’Energie (AIE) prévoit que l’éolien produira plus de la moitié de l’électricité en Europe en 2050, et sera un moyen incontournable de production d’électricité, au même titre que le solaire, dans les autres géographies.
L’intégration dans le réseau fonctionne
Pour la première fois, en 2022, la production d’électricité renouvelable intermittente – solaire et éolien – (22,28%) dépassait la production d’électricité au gaz (19,91%) ou au charbon (15,99%) en Europe. Alors que ces sources d’énergie ne sont pas pilotables, contrairement aux centrales électriques fossiles ou à l’hydraulique, leur intégration dans le réseau a été réussie et l’équilibre offre/demande a été respecté.
Plusieurs raisons expliquent la possibilité d’intégrer au réseau une part importante d’énergie renouvelable intermittente :
- Une base de production électrique pilotable encore importante (nucléaire, hydraulique, gaz, charbon),
- Des moyens de stockage multiples : les STEP (installations hydrauliques réversibles, permettant de pomper de l’eau aux heures creuses et de la relâcher pour produire de l’électricité aux heures tendues) et les batteries,
- Les interconnexions entre pays européens, permettant d’échanger de l’électricité entre régions complémentaires,
- Une complémentarité entre le solaire et l’éolien pendant les différentes périodes de l’année (en hiver, les vents plus importants permettent de palier à la baisse de production du solaire photovoltaïque) et parfois de la journée,
- Un pilotage de la demande plus flexible.
Un avantage de l’éolien sur le solaire reste un facteur de charge plus élevé (15% pour le solaire en moyenne, contre 25% pour l’éolien terrestre et 40% pour l’éolien offshore) et une production également possible la nuit. L’augmentation de la proportion d’éoliennes dans le mix électrique peut donc se faire sans trop nuire au caractère pilotable du réseau.
En France, la croissance du parc éolien est ainsi totalement envisageable d’un point de vue de l’intégration au réseau. Le gestionnaire de Réseau de Transport de l’Electricité français (RTE) et l’AIE ont montré que l’intégration d’une proportion très élevée d’énergies renouvelables (supérieure à 50%) dans un système électrique de grande échelle comme celui de la France est possible à quatre conditions :
- Déployer les solutions technologiques permettant de maintenir la stabilité du système électrique sans production conventionnelle.
- Développer les sources de flexibilité de manière importante, notamment le pilotage de la demande, le stockage à grande échelle, les centrales de pointe, et des réseaux de transport d’interconnexion transfrontalière.
- Dimensionner les réserves opérationnelles et le cadre réglementaire définissant les responsabilités d’équilibrage et améliorer les méthodes de prévision de la production renouvelable variable.
- Doubler le rythme d’investissement dans le système électrique (transport et distribution). Cet investissement est important mais conduit en retour à créer un système dont le coût de fonctionnement opérationnel est très faible, et qui ne dépend plus du cours des énergies fossiles.
Une chaîne industrielle répartie entre les trois grandes puissances
Contrairement à la fabrication de panneaux solaires photovoltaïque qui est fortement concentrée en Chine, la fabrication d’éoliennes est mieux répartie entre les grandes zones de déploiement, avec une production plus « locale » : Chine, Europe, Etats-Unis.
Une des raisons qui explique cette fabrication essentiellement « locale » des éoliennes est le coût du transport. Contrairement aux modules PV qui se transportent facilement et à coût raisonnable (hors perturbations des chaînes d’approvisionnement), l’acheminement de pièces d’éoliennes présente des contraintes de logistique et de coûts importants.
En 2022, 75 GW de capacités éoliennes ont été installées dans le monde (soit plus que la puissance totale du parc nucléaire français). La Chine, portée par son marché intérieur immense, demeure le premier fabricant d’éoliennes au monde et a installé plus de la moitié des capacités mondiales sur son sol. Certains acteurs chinois commencent par ailleurs à se développer en dehors de Chine. Elle est suivie par l’Europe qui est exportatrice nette de composants d’éoliennes et qui a installé 15 GW de capacités en 2022. Enfin, les Etats-Unis fabriquent l’essentiel des éoliennes installées sur leur sol (9 GW en 2022).
L’ambition de ces 3 puissances ne s’arrête pas là : la Chine prévoit d’accélérer encore le développement et le déploiement des ENR dans son Plan à cinq ans ; les Etats-Unis subventionnent abondamment le secteur à travers l’Inflation Reduction Act (IRA), tandis que l’Europe prévoit de doubler sa capacité de production d’électricité éolienne d’ici 2030.
Des mesures anti-dumping accompagnent souvent les nouvelles réglementations, favorisant la croissance du secteur éolien et une production locale, dans cette guerre industrielle et commerciale. L’éolien est un atout dans cette volonté de réindustrialisation et de maitrise de la chaine énergétique au sein de l’Europe.
Les métaux et terres rares qui composent les éoliennes voyagent en revanche beaucoup plus : plus de 60% des terres rares sont extraites en Chine en 2019, le lithium est majoritairement extrait en Australie, le cuivre au Chili, le nickel en Indonésie … Le traitement de ces minéraux est ensuite majoritairement réalisé en Chine.
Une filière dépendante des terres rares et de besoins croissants en métaux
Une éolienne de puissance moyenne de 4MW pèse environ 1500 tonnes. Ce poids est décomposé entre son socle en béton (1000 tonnes), son mât en acier ou béton (450 tonnes) et sa nacelle et ses pales (50 tonnes).
La quantité de béton nécessaire à la construction de l’ensemble du parc actuel français (8000 éoliennes) représenterait autour 10% du béton utilisé en France chaque année.
Les éoliennes se distinguent essentiellement par la technologie de leur générateur et aimant, existant sous quatre formes différentes. Toutes ces technologies nécessitent l’usage de métaux et de terres rares notamment pour les aimants (tels que le Neodymium et le Dysprosium). Les véhicules électriques nécessitent également l’usage d’aimant permanent et l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA) prévoit qu’ils seront la principale source de la demande pour le Neodymium et le Dysprosium, loin devant l’industrie éolienne. En utilisant les projections de vente de véhicules électriques, des tensions sur l’approvisionnement de ces matériaux sont attendus à l’horizon 2030, compte tenu notamment d’une multiplication par 10 de la demande de Neodymium d’ici 2050 (passage de 0,02Mt en 2020 à [0,2-0,5]Mt en 2050 pour des ressources identifiées de 8Mt). Des efforts de R&D et de prospection minière sont actuellement menés pour permettre de réduire ces tensions.
La technologie la plus répandue sur l’offshore et gagnant constamment des parts dans l’éolien onshore est la technologie PMSG (Permanent-Magnet Synchronous Generator). Il s’agit également de la plus gourmande en terres rares.
A horizon 2040, l’AIE prévoit un triplement de la demande de terres rares nécessaires à la fabrication d’éoliennes dans son scénario de développement durable.
Les conflits d’usage sur les terres rares pour fabriquer les aimants (également utilisées dans les moteurs des véhicules hybrides ou électriques comme expliqué ci-dessus), pourraient redessiner le paysage des technologies d’éoliennes, et favoriser des technologies alternatives au PMSG.
Des projets plus futuristes et seulement à l’état de R&D aujourd’hui, envisagent de remplacer les aimants classiques par des super-conducteurs à haute température, nécessitant des volumes de matériaux beaucoup plus faibles.
Une filière de recyclage et de réutilisation à développer
Aujourd’hui, plus de 90% de la masse d’une éolienne est recyclable. La plus grande difficulté pour augmenter ce ratio est le recyclage des pales. Celles-ci sont constituées d’un matériau composite – un mélange de polymère et de fibres de renforcement – qui est difficilement séparable. Il n’existe par contre aucune toxicité avérée de ces matériaux.
Les techniques actuelles ne sont pas suffisamment efficaces, coûtent cher et dégradent souvent les propriétés initiales des matériaux.
Un arrêté français du 22 juin 2020 obligera à recycler ou réutiliser plus de 95% de la masse des éoliennes à partir du 1er janvier 2024. Afin d’atteindre ce seuil, des alternatives se mettent en place, comme la réutilisation des pales ou des matériaux dégradés dans le secteur du bâtiment, ou encore de nouveaux process de fabrication de pales rendant la séparation du matériau composite plus simple. La filière doit cependant accélérer et se transformer pour atteindre ces seuils plus ambitieux. A noter que l’on retrouve cette problématique dans de nombreuses autres industries que sont l’automobile, l’aéronautique ou l’industrie navale très grosses consommatrices de matériaux composites.
Impact environnemental
L’impact environnemental des éoliennes est un sujet d’étude pour de nombreux scientifiques. Une revue de plus de 150 publications sur le sujet, notamment des éoliennes offshore, a été réalisée dans Nature en 2022. Les scientifiques s’accordent à dire que la construction et l’exploitation des éoliennes ont un impact environnemental qui n’est pas neutre.
Certains impacts sont positifs, comme la création d’un récif artificiel et d’une réserve naturelle. Les algues, anémones, moules se fixent sur les structures d’éolienne et leur présence attire d’autres espèces.
En revanche, un certain nombre d’impacts négatifs apparaissent également. A commencer par la phase de construction, extrêmement bruyante pour les espèces présentes et pouvant avoir un effet même dix ans plus tard.
La présence de parc éoliens gigantesques peut également provoquer des modifications de voies de migration ou trajectoires entre différents habitats d’espèce. Pour endiguer ce phénomène sur l’éolien terrestre, les permis de construire et autorisations données dans des zones sensibles demandent au propriétaire du parc de brider les éoliennes pour réduire l’impact sur les oiseaux et leurs migrations.
La dégradation et corrosion des structures métalliques, ou encore les champs magnétiques provoqués par l’électricité transportée dans les câbles semblent par contre avoir peu d’impact.
Enfin, les éoliennes ont une emprise au sol qui doit être considérée : les fondations d’une éolienne de taille moyenne occupent une surface au sol de l’ordre de 100m², à laquelle il faut ajouter la surface de la plateforme nécessaire aux opérations de grutage et d’entretien de l’ordre de 500m². Malgré ces pertes de surface, les activités agricoles alentours peuvent être maintenues pendant le fonctionnement de l’éolienne et l’exploitant est obligé de remettre en état le site occupé par les installations au terme de la durée de vie de l’éolienne. A titre de comparaison, la surface agricole française était de 26,8millions d’hectares en 2019 d’après l’INSEE. La surface occupée par les 8000 éoliennes françaises représente donc 0,0015% de la surface agricole totale.
L’ensemble de ces impacts exigent une attention particulière pour chaque nouveau projet construit ou financé, afin de vérifier que les meilleures pratiques ont été mises en œuvre pour diminuer au maximum les externalités négatives pendant la phase de construction et d’exploitation. C’est pour cette raison que les administrations, et notamment en Europe, exigent un grand nombre d’études d’impact pour délivrer les permis environnementaux. Au-delà de la validation des permis, ceci permet également de prévoir la mise en œuvre de mesures permettant d’éviter, de réduire ou de compenser autant que possible leur impact sur la faune, la flore et le voisinage.
Les enjeux de l’investissement dans l’éolien
Comme précisé précédemment, le déploiement de capacités éoliennes est une composante clé dans la décarbonation du mix électrique. Ce déploiement, de même que pour le solaire, requiert des investissements conséquents dans les années qui viennent. En Europe, l’objectif de RePower EU prévoit l’installation d’environ 235 GW de capacités additionnelles d’éolien onshore et offshore d’après Wind Energy. Ceci nécessite de doubler le rythme d’installations annuelles d’ici 2030.
En combinant ces données avec celles publiées par la banque Lazard dans son rapport d’avril 2023 sur les LCOE, les investissements nécessaires seraient supérieurs à 500 milliards d’euros.
D’après cette même étude, le coût de revient d’un MWh produit par des éoliennes onshore a en moyenne baissé de 63% depuis 2009 pour atteindre 50$/MWh en 2023. Ceci s’explique essentiellement par la baisse du coût unitaire des éoliennes installées. A ce niveau de prix, et malgré la hausse constatée en 2023 du fait de l’inflation des matières premières, l’éolien reste une technologie compétitive et moins chère que l’électricité produite à partir de carburants fossiles, ce qui permet son déploiement dans de nombreux pays sans mécanismes de soutien public. La hausse récente des coûts de financement va cependant impacter la rentabilité des projets dont une partie devra être compensée par l’effort continu de baisse des coûts des principaux turbiniers.
Ces objectifs de déploiement en Europe nécessitent un soutien fort des états concernés à travers des processus d’obtention des permis clairs et limités dans le temps. La commission européenne a proposé, au travers de RePower EU, un cadre pour clarifier les règles et processus administratifs au sein des Etats membres. Ceci doit permettre de réduire les délais de réponse et donner plus de visibilité aux investisseurs.
Dans le cadre de la politique de réindustrialisation européenne, et aux vues des politiques chinoises et américaines, il devient clé de clarifier la politique de soutien aux entreprises de fabrication localisée sur le territoire européen favorisant l’emploi et l’activité. Conserver des acteurs européens puissants dans cette industrie contribuera également à la décarbonation et l’indépendance énergétique.
Enfin, l’acceptation sociale et locale sont essentielles pour assurer un déploiement raisonné de cette ressource indispensable à l’arrêt de l’utilisation des énergies fossiles. Les enjeux locaux, qu’ils soient environnementaux ou sociaux, doivent être pris en compte dans leur ensemble en intégrant les communautés locales, régionales et nationales dans l’organisation du territoire.
Eiffel développe sa méthodologie d’évaluation des fournisseurs de panneaux solaires.
Dans le cadre des projets d’infrastructures renouvelables financées par Eiffel, l’ESG est un élément clé des due diligences. L’ensemble des projets doivent être durables sur le plan environnemental et social, conformément à la réglementation SFDR 9.
Eiffel prête ainsi attention à toute la chaîne de valeur, en particulier en ce qui concerne les sujets d’esclavage moderne, de travail forcé, de travail des enfants, de violences sexistes. C’est un sujet particulièrement sensible dans le secteur du solaire.
Dans le cadre du contrôle renforcé des risques liés à ces sujets, Eiffel a pour objectif de vérifier le respect d’engagements stricts de protection des travailleurs à différents points de la chaîne d’approvisionnement.
Depuis la mise en place d’une procédure dédiée début 2023, Eiffel a constitué une base de données d’une vingtaine de fournisseurs parmi les plus importants et en ajoute de nouveaux au fur et à mesure qu’ils sont sélectionnés par les développeurs dans le cadre des nouveaux projets financés.
Le système de notation qui a été développé en interne est basé sur des informations publiques et privées, ainsi que sur l’aide d’un cabinet de conseil externe. Eiffel a également mis en place un système d’alerte et de suivi des controverses afin de rester au fait des évolutions pertinentes.
Cette procédure est appelée à être améliorée et mise à jour régulièrement, et reçoit déjà l’adhésion de nombreux développeurs financés, dont la coopération est instrumentale.
Les équipes d’Eiffel travaillent actuellement à adapter ce système aux enjeux ESG propres aux fournisseurs de turbines.
Bibliographie
Ember Climate, 2023, European Electricity Review
IEA, 2023, Energy Technology Perspectives 2023
IEA, 2022, The role of critical minerals in clean energy transition
IEA, 2022, World Energy Investment
Lazard, 2023 – Levelized Cost of Energy
Nature, 2022 – Reviewing the ecological impacts of offshore wind farms
Polytechnique Insights, 2023, – Wind turbines: can we make blades recyclable?
Polytechnique Insights, 2023, – Marine life : contrasting effect of offshore wind
RTE, 2021 – Futurs énergétiques 2050
SolarPower Europe, 2022, EU Market Outlook for solar power 2022-2026
University of Nottingham, 2022, The Energy of Freedom
World Bank, 2020, Minerals for Climate Action